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Assurance à la demande : à la recherche de la martingale

L'assurance à la demande interroge les méthodes actuarielles habituelles

L'actuariel 33

Actuariat Assurance Sciences & tech

L’assurance à la demande, qui permet de couvrir les objets pour un usage ponctuel depuis une application mobile, est apparue en France en 2018. Une offre qui interroge les méthodes actuarielles habituelles, voire même le business model de l’assurance.

Répondant aux besoins et aux modes de vie de consommateurs, dont le smartphone est devenu l’outil indispensable du quotidien, l’assurance à la demande permet de s’assurer en quelques clics pour un usage ponctuel ou pour une durée limitée. Ces produits répondent à une réelle demande : 65 % des Français se déclarent prêts à les utiliser (1). Et ce pourcentage grimpe jusqu’à 74 % chez les jeunes de 25-34 ans, toujours à la recherche de nouveaux services digitalisés. Déjà, plusieurs acteurs arrivent et testent le marché. La fintech britannique Revolut propose depuis janvier 2018 une assurance voyage au tarif d’un euro par jour. L’utilisateur peut l’activer manuellement ou utiliser la fonction géolocalisation pour déclencher la couverture dès qu’il est à l’étranger. Et l’application offre la possibilité de personnaliser son assurance en ajoutant des proches ou en cochant par exemple l’option « sports d’hiver ». De son côté, Valoo, en partenariat avec Altima, le laboratoire d’innovations assurantielles de la Maif, a lancé en mars 2018 une assurance à la journée d’objets nomades (appareil photo, instrument de musique, tablette, etc.) pour un tarif allant de onze centimes à un euro par jour. Pour définir cette prime, Valoo bénéficie d’un inventaire de 10 millions d’objets référencés depuis 2013 par la plateforme auparavant nommée Cbien. Parce que l’assurance à la demande repose avant tout sur la simplicité de l’expérience client, ce dernier peut enregistrer son bien en quelques clics seulement : il lui suffit de prendre l’objet en photo, de fournir une preuve d’achat en indiquant la référence du produit et le tarif s’ajuste sous ses yeux.

Transparence et maîtrise des frais

Autre exemple : Leocare, une application proposant de s’assurer en auto ou en habitation. « Nous avons bousculé les habitudes des actuaires car notre souhait est d’être centrés sur l’expérience client, observe Noureddine Bekrar, cofondateur de l’assurtech. Ainsi, sur l’application Leocare, nous ne posons que quatre questions pour la souscription d’une assurance habitation, sept questions pour une assurance auto, et les assurés voient directement l’impact de leurs réponses sur le tarif. » Le service à la demande de Leocare concerne les garanties optionnelles, comme l’ajout d’un second conducteur ou l’hivernage moto, activables et désactivables en quelques clics. Enfin, d’ici l’arrivée en septembre prochain par le courtier April d’une assurance à la demande d’« objets passion », la startup Tulip proposera à partir du mois de juin 2019 une assurance à la journée contre le vol et la casse du matériel de kitesurf avant d’étendre sa gamme dès la rentrée. « L’assurance à la demande doit se positionner sur des objets à forte valeur, utilisés de façon occasionnelle », précise Amaury Delagarde, cofondateur de Tulip. Transparence, maîtrise des frais et facilité de souscription : telles sont les promesses de ces nouveaux produits qui bousculent le secteur de l’assurance.

Une approche statistique a priori

La tarification n’est plus basée sur une fine analyse des risques à partir d’un large échantillon de données permettant de mesurer la fréquence des sinistres, mais elle repose sur des hypothèses. En effet, pour se lancer sur le créneau de l’assurance à la demande, la prime – souvent journalière – est définie a priori dans une logique de test and learn, et s’ajuste au fur et à mesure de l’expérimentation. « Pour définir nos tarifs, nous nous sommes appuyés sur les données dont nous disposions dans certains contrats MRH de la Maif proposant des garanties en option sur les objets nomades, et dans une MRH spéciale jeunes lancée au printemps 2017, précise Florent Villain, directeur général d’Altima. à partir de ces données, sans grand recul historique, nous avons émis des hypothèses de fréquence de vol et de casse pour fixer nos tarifs d’assurance. Dans la construction de notre tarification, nous avons également pris garde à ce que ce soit cohérent avec les assurances affinitaires classiques proposées sur le marché, si l’assuré conserve ses garanties un mois ou une année. »
Leocare, qui propose une garantie automobile pour un second conducteur sur une durée variant d’une semaine à un semestre, a travaillé en partenariat avec L’Équité – Generali. « S’agissant d’une assurance optionnelle à la demande, afin d’éviter le risque d’antisélection et les effets d’aubaine, nous ne pouvions pas partir sur une tarification linéaire selon la période d’activation de la garantie du second conducteur, explique Amin Toussi, manager des solutions d’assurance auto en partenariat. Nous avons donc réalisé des hypothèses prudentes et établi une tarification plus avantageuse pour les assurés qui choisissent une période de désactivation longue. »
Mais comment tarifer ces nouveaux produits lorsque les actuaires ne disposent d’aucune donnée ? « Pour déterminer la fréquence, nous travaillons avec la datascience pour trouver des statistiques et émettre des hypothèses qu’on ajuste ensuite, avec toujours une marge de prudence », explique Marie-Catherine Sarraudy, actuaire certifiée IA, directrice métier actuariat conseil chez Optimind Winter. Pour définir la prime d’assurance du matériel de kitesurf, « nous avons réalisé un sondage auprès des kitesurfeurs et collecté des informations auprès de la Fédération française de voile (FFV) et de la Fédération française de vol libre (FFVL). à partir de ces données, nous avons estimé la sinistralité avec un coefficient de prudence pour déterminer la prime journalière », explique Amaury Delagarde.
Pour l’heure, l’assurance à la demande reste en phase de test. Pour se lancer, les assureurs prennent certaines précautions afin de se protéger des risques de pertes trop importantes. Valoo, qui se concentre sur les objets nomades, a rapidement fait évoluer son offre en excluant les smartphones : « Face à l’envolée des sinistres, nous avons suspendu l’offre d’assurance à la demande sur les téléphones portables dès l’été dernier, explique Florent Villain. Le dispositif accordait trop de souplesse à l’assuré. Nous travaillons actuellement sur le sujet afin de voir s’il est possible de réintégrer cette catégorie d’objets dans notre offre. » Du fait de la segmentation à la journée, la mutualisation est réduite et, pour parvenir à l’équilibre et pouvoir faire face aux sinistres, la compagnie d’assurances doit récolter un montant de primes suffisant, en nombre de jours ou en nombre d’objets assurés. « L’enjeu à terme est de parvenir à cibler des personnes qui ont une aversion au risque et souscrivent facilement des produits d’assurance », prédit Marie-Catherine Sarraudy.

L’ombre des GAFAM

Demain, l’intelligence artificielle analysera les comportements individuels pour proposer une couverture répondant au plus près aux besoins de l’assuré avec un ajustement en temps réel de la tarification. Une perspective qui fait planer l’ombre des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) au-dessus du secteur français. « Les GAFAM ont des réserves suffisantes pour amortir les échecs s’ils décident d’entrer sur le marché », pronostique Olivier Lopez, professeur à Sorbonne Université et actuaire agrégé IA. Selon lui, ces derniers disposent de la capacité technique de se positionner sur les contrats à court terme, comme l’assurance à la demande. « En effet, ils peuvent sélectionner les profils et cibler ceux qui souhaitent s’assurer tout en présentant le moins de risques. Les GAFAM auraient ainsi la possibilité de réduire le risque d’antisélection et d’aléa moral. » Il estime, à l’instar d’autres experts, que « du fait des barrières à l’entrée et de leur rentabilité actuelle, l’intérêt des GAFAM serait de se positionner davantage sur la chaîne de valeur, et non pas en porteurs de risques. »

Un marché à éduquer

D’ici quelques années, le visage du secteur de l’assurance pourrait bien lui aussi être totalement modifié. Dès aujourd’hui, les nouvelles technologies permettent déjà d’automatiser les processus de souscription et de gestion des sinistres, et demain l’intelligence artificielle aidera à ajuster le tarif au profil de l’assuré. « L’intelligence artificielle va permettre de faire du profiling, renchérit Amaury Delagarde. Une fois que nous aurons suffisamment de données, nous pourrons réduire la fraude et les coûts de gestion des sinistres grâce au big data, dans l’objectif de réduire la prime pour le client final. »
Les Français semblent toutefois réticents à s’assurer auprès d’une startup ou d’un GAFAM. Moins d’un quart se déclarent en effet prêts à souscrire un contrat auprès d’un de ces acteurs et éprouvent de la méfiance quant à l’utilisation de leur données numériques : 66 % déclarent ainsi que l’utilisation de l’intelligence artificielle pour prédire les risques représente un danger pour les libertés individuelles (2). Dans le même temps, une étude mondiale réalisée par Accenture en mars 2019 (3) révélait que six consommateurs sur dix seraient prêts à partager des données personnelles importantes avec des banques et des assureurs en échange de prix plus bas sur les produits et services… « En fait, les atteintes à la sécurité des données étaient la deuxième préoccupation des consommateurs, derrière l’augmentation des coûts, lorsqu’on leur demandait ce qui les ferait quitter leur banque ou leur assureur », note l’étude. Pour Amaury Delagarde, le marché de l’assurance à la demande reste donc à éduquer. « Pour cela, nous misons sur nos partenaires commerciaux comme les réparateurs ou les vendeurs de matériel de kitesurf, et sur la gestion de notre communauté, tout en apportant de la transparence.»

– Point de vue –

Anani OLYMPIO

Actuaire certifié IA, responsable de la recherche et prospective stratégique chez CNP Assurances
et président de la commission innovation de l’Institut des actuaires. (Photo Aldo Sperber)

En quoi l’assurance à la demande répond-elle aux besoins actuels ?

Anani OLYMPIO : Elle correspond aux nouveaux modes de vie des assurés. Les consommateurs veulent avoir accès à des services instantanément, en quelques clics, peu importe l’endroit où ils se trouvent, et pour des prix raisonnables. En ce sens, l’assurance à la demande leur apporte une solution de couverture au moment où ils en ont besoin et sans avoir à souscrire une police d’assurance sur le long terme, qui peut sembler inutile. Grâce à la data science et à l’analyse de plus en plus fine des données collectées massivement avec des algorithmes de plus en plus sophistiqués, l’assurance à la demande actuelle ne serait qu’une étape vers une offre qui s’adaptera au plus près des besoins des assurés.

De quelle façon ces innovations modifient-elles les méthodes actuarielles ?

Anani OLYMPIO : Pour lancer ces nouvelles offres à la demande, les actuaires basculent d’une statistique fréquentiste classique vers une approche bayésienne. Cette dernière est utilisée lorsque l’on a de petits échantillons. Nous faisons des paris basés sur des avis d’experts et adaptons les tarifs. Les actuaires ne disposant pas d’abaque, c’est-à-dire d’instrument de calcul sur ce type d’offre, celle-ci est donc limitée et réservée à certains types d’objets ou de garanties, pour éviter les dérives et donc maîtriser les risques. Pour parvenir à l’équilibre – c’est-à-dire pour que les cotisations perçues soient au moins égales aux indemnités versées – les assureurs imposent des tarifs journaliers plus élevés que dans le cadre d’une assurance à l’année. Ainsi, l’objectif de l’assurance à la demande n’est pas de proposer une assurance économique, mais de redonner le contrôle aux assurés. En cas d’usage répété et prolongé, celle-ci peut même devenir plus onéreuse qu’une formule classique.

Selon vous, les produits d’assurance à la demande vont-ils devenir la norme ?

Anani OLYMPIO : L’assurance à la demande ne remplace pas les assurances légalement obligatoires mais les complète sur des produits où ces dernières ne sont pas compétitives. En revanche, elle concurrence directement les assurances facultatives comme les assurances voyage ou de biens par exemple. Ces garanties sont parfois souscrites sans le savoir ou sans connaître l’étendue des couvertures. C’est le cas par exemple de l’assurance perte ou vol des moyens de paiement, souvent incluse d’office dans les packages bancaires. Avec l’assurance à la demande, il y a donc un danger de s’assurer pour un risque déjà couvert. Un effort de transparence doit être fait par l’ensemble du secteur pour éviter les doublons.

Quels vont être les prochains défis à relever ?

Anani OLYMPIO : Les nouveaux entrants digitaux ne manquent pas d’ambition, mais ils doivent s’atteler à bien maîtriser toute la chaîne de valeur notamment la gestion des sinistres ou l’assistance. Les innovations offertes par les nouvelles technologies résultent également de l’utilisation de données massives et d’algorithmes capables de les traiter. La profession doit rester vigilante quant à l’utilisation des données à caractère personnel dans le cadre de la réglementation RGPD. Elle doit également poursuivre les réflexions et les travaux avec le milieu académique pour proposer des outils permettant d’expliquer les résultats des sorties des algorithmes, c’est-à-dire les rendre plus transparents.

Grâce aux masses de données dont ils disposent, les GAFAM pourraient-ils se positionner sur ce type de produit ?

Anani OLYMPIO : Les assurés veulent une relation plus dynamique et plus personnalisée, des offres simples et compréhensibles et des services adaptés à leurs besoins au bon moment de leur vie. Ces attentes constituent l’un des points forts des GAFAM, qui disposent d’une connaissance fine du client. Ces atouts pourraient leur permettre en théorie de se positionner comme acteur central dans la chaîne de valeur du business assurantiel avec des offres d’assurance davantage personnalisées et un parcours client optimisé. Cependant, il faut plus que des données massives et des algorithmes pour devenir assureur.

TROV
Vers une assurance auto « au trajet »

Les acteurs de l’assurance à la demande ont tous été influencés par l’assurtech américaine Trov, fondée en 2012 et pionnière de cette offre. Le groupe américain, qui a déjà levé plus de 97 millions de dollars, a annoncé en juillet 2018 avoir passé le cap d’un million de contrats d’assurance signés. Trov propose ses services aux États-Unis soutenu par Munich Re, et s’est plus récemment lancé sur le marché australien avec l’assureur Suncorp, et le marché britannique avec Axa. Mais la startup californienne n’entend pas s’arrêter à l’assurance à la demande. Fin 2017, elle s’est associée à Waymo, la filiale de véhicules autonomes de Google, dans l’objectif de proposer des assurances au trajet. Dans les colonnes du Journal du net, son CEO, Scott Walchek, expliquait : « Un trajet est marqué par un début et une fin. Et les passagers sont soumis à des risques éphémères. La seule difficulté est que, cette fois, ce n’est pas l’humain qui fera glisser son doigt sur l’écran mais la voiture elle-même qui décidera quel type de couverture souscrire. »

1, 2 – « Les Français et l’assurance de demain », étude du cabinet Mazars et d’OpinionWay, menée auprès d’un échantillon de 1 042 personnes, janvier 2019.
3 – « Financial Services Consumer Study », Accenture, mars 2019, enquête réalisée auprès de 47 000 consommateurs répartis sur 28 marchés.