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Les délais de paiement constituent un problème récurrent pour les entreprises, notamment les PME. Plusieurs évolutions législatives ont été mises en place pour prévenir ces difficultés. Décryptage.
Qu’un client se mette aux abonnés absents au moment de régler sa facture, et c’est tout l’équilibre financier de l’entreprise qui peut se trouver en péril. Ce constat est d’autant plus vrai aujourd’hui que 96% des dirigeants pensent que le non-respect des délais de paiement met en danger la santé de leur entreprise, pouvant aller jusqu’au dépôt de bilan, selon le dernier baromètre du cabinet de juristes d’affaires ARC et de l’IFOP consacré aux délais de paiement.
Délais de paiement : 44 jours en moyenne
« Après 2008 et la loi de modernisation de l’économie (LME), il y a eu une vraie amélioration », se souvient Thierry Bridenne, dirigeant du cabinet d’expertise comptable Sorea à Melun (Seine-et-Marne), membre du groupement France Défi. Depuis 2011, les améliorations se font plus discrètes, selon l’Observatoire des délais de paiement. Son dernier rapport, paru en avril 2019, indique que les délais clients demeurent stables. Une entreprise compte en moyenne 44 jours après l’émission de sa facture pour être payée, et règle en moyenne ses fournisseurs au bout de 51 jours. Le retard moyen de paiement est de onze jours.
Quelles sont les obligations légales ?
L’obligation légale est claire : le client doit payer au maximum 30 jours après réception des marchandises ou exécution de la prestation. Ce délai peut monter à 60 jours à compter de la facturation (ou 45 jours fin de mois), à condition de le préciser dans le contrat de vente.
Un certain nombre de produits alimentaires et de boissons sont soumis à des délais de paiement particuliers, par exemple :
Grâce à la loi Macron du 6 août 2015, cinq secteurs bénéficient, de façon permanente, de délais dérogatoires en raison du caractère fortement saisonnier de leur activité : l’agroéquipement, le commerce des articles de sport d’hiver, la filière du cuir, l’horlogerie-bijouterie-joaillerie-orfèvrerie, et le commerce du jouet. Le décret du 16 novembre 2015 liste les délais de paiement qui s’appliquent à chacun.
Des sanctions jusqu’à 2 millions d’euros
Ces dernières années, les mesures de coercition se sont multipliées. En 2014, la loi Hamon a institué des sanctions financières jusqu’à 375 000 euros pour les personnes morales. L’année suivante la loi Macron a étendu le champ de contrôle de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), aux entreprises publiques, notamment. Désormais, celles-ci peuvent être sanctionnées comme dans le privé.
En 2016, la loi Sapin 2 a augmenté le plafond maximal de l’amende : il atteint désormais 2 millions d’euros pour les personnes morales. Les sanctions sont systématiquement publiées sur le site web de la DGCCRF. « Sur le site de la Direction générale de la concurrence, vous pouvez lire les noms de Microsoft, Guerlain ou Engie, par exemple », indique Thierry Bridenne. Cette pratique du « name and shame » (littéralement, nommer et couvrir de honte) est renforcée par la loi PACTE. Cette dernière prévoit la publication des sanctions dans la presse, aux frais de l’entreprise.
Intensification des contrôles
Preuve que les mauvais payeurs sont dans la ligne de mire, les procédures de sanction sont de plus en plus nombreuses : 263 procédures ont été engagées en 2018, contre 200 en 2015. Ces 263 procédures correspondent à un montant total d’amendes de 17,2 millions d’euros.
En mai 2019, pour la première fois, des sanctions financières supérieures à 500 000 euros ont été prononcées. À cette occasion, Agnès Pannier-Runacher, la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, a réaffirmé dans un communiqué la volonté du gouvernement d’intensifier les contrôles : « Les retards de paiement sont en effet à l’origine des difficultés de trésorerie d’une PME sur quatre et les privent de 19 milliards d’euros de trésorerie, selon l’Observatoire des délais de paiement. C’est inacceptable ! C’est pour ces raisons que j’ai demandé à la DGCCRF de poursuivre de manière déterminée ses contrôles des délais de paiement. »
Pour rééquilibrer les relations entre fournisseurs et entreprises du secteur public, le gouvernement mise sur l’affacturage inversé collaboratif. Défini par la loi PACTE, ce dispositif vise à réduire les délais de paiement et à sécuriser la trésorerie des PME et des TPE. Grâce à celui-ci, c’est l’acheteur qui passe le contrat avec l’affactureur, et non plus le fournisseur. Les factures sont transmises par le fournisseur, validées par l’acheteur, ce qui déclenche le paiement par l’affactureur, remboursé ensuite.
Aller voir son banquier
D’autres initiatives peuvent aussi aider à fluidifier les échanges. Par exemple, depuis 2016, la Chambre nationale des huissiers de justice (CNHJ) propose une plateforme de recouvrement des petites créances pour les très petites entreprises, via le site credicys.fr.
Chez Sorea, à Melun, Thierry Bridenne donne également quelques conseils aux entreprises qui viennent le voir : « En premier lieu, je leur dis de regarder si les conditions générales de vente (CGV) sont en conformité, en cas de contrôle de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. » Les CGV intègrent-elles la mention des délais de paiement, les pénalités envisagées et les indemnités de frais de recouvrement ? « Ce sont ces points qu’il faut vérifier, ainsi que leur application », estime Thierry Bridenne.
À ses clients qui rencontrent des problèmes de trésorerie, il rappelle que le fait de tarder à payer un fournisseur – le « crédit fournisseur » – est illégal. « Mieux vaut aller voir son banquier ou bien la BPI (Banque publique d’investissement) avec son expert-comptable. » Et pour les clients qui ont des problèmes de recouvrement ? « Ils doivent informer leurs débiteurs qu’il existe des sanctions et alerter la DGCCRF. » S’engager dans un cercle vertueux est de la responsabilité de tous.