EXPERTS ET DÉCIDEURS
Afin d’éviter que d’éventuels conflits ne pénalisent l’entreprise familiale, certains outils peuvent être mis en place pour établir des règles et de réduire les risques de blocage.
Souvent décrites comme plus résilientes que les autres, les entreprises familiales, transmises parfois depuis plusieurs générations et dont la gouvernance est assurée par un ou plusieurs membres de la famille, rencontrent aussi des problématiques spécifiques.
L’entente n’est en effet pas toujours facile à trouver entre les membres de la famille plus ou moins impliqués dans l’entreprise. « Il peut y avoir des difficultés de cohabitation lorsque les actions se trouvent partagées entre un ou plusieurs porteurs d’actions qui sont aussi dirigeants et d’autres qui ne sont qu’actionnaires capitalistiques », souligne Pascal Morin, notaire honoraire, membre consultant et président d’honneur de Juris Défi.
Tous ne partagent pas forcément les mêmes priorités entre souci de préservation du patrimoine familial, projets personnels et volonté de développement de l’entreprise. Des désaccords peuvent alors compliquer la gouvernance de l’entreprise. Celle-ci peut aussi souffrir de l’évolution des relations au sein de la famille et notamment d’éventuels divorces, notamment en fonction du régime matrimonial des membres de la famille concernés.
Afin de limiter les difficultés, l’essentiel est d’anticiper. « Il existe un certain nombre d’outils pour limiter les risques », assure le spécialiste. L’une des premières précautions consiste à rédiger un pacte d’associés afin de réglementer les conditions d’entrée au capital de l’entreprise, et de sortie. Un document très utile quand au sein d’une fratrie, tous ne partagent pas la même implication dans l’entreprise. « Il peut faire en sorte que les actionnaires non-dirigeant ne puissent céder leurs parts à un tiers sans l’agrément du dirigeant. Réciproquement, il peut prévoir une procédure pour éviter que les dirigeants fasse la sourde oreille si certains actionnaires non impliqués dans l’entreprise veulent récupérer leur capital », expose Pascal Morin.
Dans le même esprit, la rédaction d’une charte familiale est une manière de clarifier les choses. Elle permet de poser les valeurs de la société et peut donc servir de référence lorsque des décisions de gouvernance font débat tout en établissant des règles.
Elle pourra par exemple prévoir qu’aucun membre de la famille d’un associé ne puisse devenir salarié ou qu’aucun conjoint ou partenaire ne devienne associé.
Certaines solutions permettent aussi d’organiser la transmission familiale et de faciliter les transitions. Etablie de son vivant, le mandat à effet posthume permet au dirigeant de désigner un mandataire pour administrer temporairement l’entreprise à son décès. « Si le chef d’entreprise a trois enfants dont deux ont déjà embrassé des carrières en dehors de la société et un autre est voué à reprendre, mais n’a pas encore terminé ses études ou accumulé suffisamment d’expérience, cela lui permet de désigner un tiers de confiance, par exemple son directeur financier, pour devenir dirigeant et gérer l’entreprise pour le compte de l’indivision, en attendant que celui-ci soit en mesure de reprendre », illustre Pascal Morin.
Quand l’entrepreneur peut le faire de son vivant, une donation-partage des titres aux enfants sera toujours pertinente : au moment de la reprise effective par l’héritier, celui-ci apportera ses titres à une société holding qui pourra emprunter pour financer le rachat des parts des autres héritiers.
Lorsque cela est possible, intégrer des parties prenantes extérieures à la famille au sein du conseil d’administration ou à des postes clefs est un bon moyen de renforcer l’entreprise. Cela permet à la fois de bénéficier d’autres compétences, d’un certain recul et de l’autorité de personnes susceptibles de faciliter la sortie des conflits que l’entre-soi familial peut parfois favoriser. « C’est d’ailleurs pour cela que la loi sur la donation-partage permet aujourd’hui d’intégrer un tiers à cette opération, aux côtés de ses enfants », souligne Pascal Morin.
Enfin, il peut aussi être utile d’instaurer une instance informelle, lieu d’information et de discussion des différents membres de la famille. Ce peut être le rôle d’un conseil de famille où la situation de l’entreprise pourra être discutée y compris avec ceux qui n’y sont pas directement impliqués.