12 juin 2037
L'actuariel 30
Afin d’identifier ou d’évaluer le risque de certaines maladies graves, les Français ont désormais accès au séquençage de leur génome. C’est légal et parfois même remboursé par la Sécurité sociale. Mais il a fallu passer par plus d’un débat avant d’en arriver là.
Le 12 juin 2037, pour son numéro 105, L’actuariel a décroché un entretien avec James W., le PDG de la société américaine MyGenomeExpress. Le magazine a convaincu le nouveau leader mondial du séquençage de l’ADN de lui ouvrir les portes de son entreprise. Sa spécialité : la conception de machines décryptant le génome pour repérer d’éventuelles altérations de gènes afin de diagnostiquer ou de prédire une maladie. Leurs appareils MyGenSeq, MyGen X, NextGenExpress, et autres plateformes de séquençage du génome, n’ont aujourd’hui plus de secrets pour les hôpitaux et les laboratoires français. Et la demande va exploser avec la décision la semaine dernière du Comité national d’éthique d’ouvrir à chacun la possibilité de faire séquencer son génôme.
Après cinq années de débats passionnés, la France s’est en effet décidée. Mais non sans prendre des précautions « Aux États-Unis, les lois partent du principe que les individus peuvent décider pour eux-mêmes, analyse le généticien Pierre B., directeur de recherche au CNRS et ancien membre du Comité consultatif national d’éthique. En France, nous avons pour priorité de protéger les individus. Nous avons décidé d’autoriser le séquençage ; maintenant, il s’agit d’accompagner les individus. » Voilà pourquoi l’autorisation du séquençage reste très encadrée. « L’homme est complexe, notamment sur le plan psychologique et on ne sait jamais comment il peut réagir à l’annonce d’une information brutale, poursuit Pierre B. C’est pourquoi, en France, tout séquençage commandé à un prestataire privé doit passer par un partenariat avec un conseiller génétique, psycho-généticien, capable d’interpréter les tests reçus, d’en garantir le sérieux et de les expliquer dans toutes leurs nuances. »
Concernant les fœtus, le Comité d’éthique a préconisé également que les tests prénataux soient ouverts à tous les parents, mais avec pour seul critère d’analyse « la particulière gravité et l’incurabilité de la maladie au moment du diagnostic ».
Enfin, pour encourager les particuliers à s’adresser à des prestataires sérieux basés en France, le comité a rappelé que les données cliniques et génomiques seront ainsi protégées et intégrées dans leur dossier médical personnel (DMP) et stockées dans un collecteur analyseur de données (CAD) sécurisé. Avec l’accord du patient, certaines données, anonymisées, peuvent même être exploitées à des fins de recherche médicale. Dans le meilleur des mondes possibles, pour faire avancer la science, chacun peut désormais « donner son génome » comme il donnerait ses organes ou son sang.
Que de chemin parcouru depuis vingt ans… L’acte de naissance de la démocratisation du séquençage a été signé en 2016 avec le plan France Médecine génomique (conçu et porté par l’Alliance pour les sciences de la vie et de la santé, Aviesan). Il s’agissait alors de ne pas se laisser distancer par plusieurs pays européens – Allemagne, Estonie, Pays-Bas ou encore Slovénie –, qui avaient déjà commencé à intégrer la médecine génomique dans leur système de santé. Le souffle politique a été quant à lui donné par le Premier ministre d’alors, Édouard Philippe, en 2017. « Nous allons développer le séquençage à grande échelle de génomes, et également permettre à tous les patients de bénéficier au plus tôt de l’apport de la génomique dans le diagnostic et la thérapeutique », promettait-il. Son objectif était d’intégrer les outils de la génomique dans le parcours de soins avant 2025, et pour cela de développer douze plateformes de séquençage du génome à très haut débit, pour des patients ciblés. Cancer, diabète, maladies rares.
Et le pari a été tenu : dès 2020, quelque 235 000 séquences de génomes étaient réalisées avec succès. « Le frein lié au rapport coût-bénéfice est vite tombé, se souvient Christophe M., professeur de génétique à la faculté de médecine de l’université Paris Voltaire. Les informations récoltées, par exemple l’identification des gènes BRCA 1 et 2, dont certaines variantes causent des cancers du sein héréditaires, ont permis d’adresser des messages de prévention ciblés, d’éviter le déclenchement de certaines maladies et donc des coûts associés à leur traitement. La médecine génomique s’est aussi imposée comme une médecine de précision qui a permis de reconnaître certaines maladies mendéliennes, ces pathologies rares causées par des anomalies précises et identifiables sur certains gènes. Cela a induit d’autres économies en réduisant les parcours d’errance médicale. »
Pour parler chiffres, prix et durée n’ont cessé de fondre. En 2003, le premier séquençage complet, baptisé « projet Apollo » tant l’ampleur de la tâche paraissait immense, avait coûté 2,7 milliards de dollars (2 milliards d’euros) et nécessité près de quinze ans ! « En 2016, le coût était tombé sous la barre des 1 000 dollars (750 euros), il a été divisé par deux depuis, et l’analyse ne prend plus que quelques heures, maintenant que les algorithmes ont remplacé la pipette de l’homme », poursuit Christophe M.
C’est dans ce contexte que, le 2 décembre 2019 – deux ans presque jour pour jour après son homologue Illumina –, MyGenomeExpress inaugurait son premier bâtiment à Évry.
« Cela paraît loin aujourd’hui mais, il y a vingt ans, il était encore illégal pour un particulier de demander son séquençage génomique ! », sourit James W. lors de notre entretien. Longtemps, le code civil a stipulé que « l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne » ne pouvait être entrepris « qu’à des fins médicales ou de recherche ». « À partir de 2025, les premières tribunes de médecins et d’intellectuels ont plaidé pour un assouplissement de ce cadre juridique. » Et, dès 2027, plus de 500 000 patients, repérés par leur médecin, ont bénéficié d’un séquençage remboursé par la Sécurité sociale. Mais le débat a été vif, convoquant même Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », prédisait-il en 1532 dans Pantagruel.
En effet, alors que techniquement le séquençage pouvait être réalisé sur des individus, des fœtus mais aussi sur des embryons, des particuliers revendiquaient un droit d’accès à leur génome même sans être malades. Rapidement, des associations se sont manifestées, s’inquiétant de voir la France s’engager sur un toboggan eugéniste sans retour. La Chine, malgré les réserves de la communauté scientifique internationale, ne s’est-elle pas engagée sur le terrain dès le début des années 2000 ? Après avoir développé le diagnostic génétique préimplantatoire (PGD), qui permet d’éliminer les embryons porteurs d’anomalies, le pays a lancé un grand programme de séquençage de l’ADN des surdoués. À quand des enfants « à la carte », beaux, intelligents et, forcément, en parfaite santé ? Plus près de nous, en Allemagne, un assureur a testé dès 2024 une offre « génomique », avec des primes calculées en fonction du profil génétique des clients. À quand la castification et l’exclusion des profils les plus vulnérables de notre système de protection sociale ?
« Il a fallu dépasser certains fantasmes, poser certaines limites, et surtout être pragmatique », explique James W. De fait, le séquençage génomique existait déjà à l’étranger et se libéralisait. Aux États-Unis, la filière génomique a vu en 2025 son périmètre de tests autorisés élargi par la FDA (Food and Drug Administration). Concurrence oblige, outre-Atlantique, le business du génome s’est emballé : des centaines de prestataires proposaient alors, indifféremment, avec plus ou moins de sérieux, de prendre en main la santé de leurs clients, de rechercher leurs ancêtres ou de choisir le vin le plus adapté à leur palais… Certaines sociétés pouvaient même fournir ces informations aux particuliers en quelques heures en échange d’un échantillon salivaire prélevé par un capteur de leur téléphone portable !
En 2032, à défaut d’être légal pour tous, le génome séquencé était devenu accessible au plus grand nombre. Selon un sondage réalisé alors, 82 % des Français réclamaient un droit d’accès à leur séquençage et 65 % affirmaient qu’ils pourraient se tourner vers un prestataire étranger.
Une revue de presse de l’époque permet de mesurer la dimension – et certaines limites – du phénomène. Telle vedette américaine, inquiète de contracter un cancer, se découvrait une sœur cachée en Europe. Dans d’autres colonnes, tel autre anonyme, vraiment malade celui-ci, envisageait de porter plainte contre une société qui lui avait pourtant assuré un risque de mélanome faible cinq ans plus tôt. Sans oublier Catherine A., papesse de l’autofiction, qui déroulait ses pulsions suicidaires depuis qu’un séquençage lui avait appris qu’elle présentait statistiquement des risques inquiétants – mais sans certitude absolue – de développer une maladie incurable. « Cette période aura au moins été utile d’un point de vue pédagogique, analyse Agnès C., présidente de la Société française de médecine génomique. On a commencé à comprendre qu’un séquençage ressemblait à une encyclopédie, impossible à déchiffrer en entier ni avec certitude. On a aussi vu qu’à de rares exceptions près, il était impossible de “prédire” dans les gènes d’un individu son avenir médical. La plupart des maladies impliquent en effet des dizaines de gènes potentiels mais aussi des facteurs environnementaux encore mal évalués. » Enfin, beaucoup de ces témoignages posent une question existentielle : ai-je envie de tout savoir, le pire comme le meilleur ?
« Bienvenue à Gattaca » ? En 1997, ce film d’Andrew Niccol décrivait un monde soumis à une impitoyable sélection génétique. « J’adore ce film, mais cela reste de la pure science-fiction », sourit James W. S’il a évidemment fait séquencer son génome, lui-même confie avoir posé certaines limites. « Je suis comme la majorité de nos clients, j’ai refusé que l’on me communique certaines informations. » Il n’est pas le premier à se protéger. Il rappelle qu’en 2007 un certain James Dewey Watson, codécouvreur de l’ADN et Prix Nobel 1962, avait été le premier homme à recevoir les données de son génome séquencé « et il avait refusé de savoir s’il portait certains gènes de maladie d’Alzheimer, incurable, et qu’une de ses grand-mères avait eue ». L’espace d’un instant, James W. s’est comparé à un Nobel… Ce qui nous permet de l’interroger sur sa sélection par Forbes pour la distinction de Dirigeant de l’année. La réaction est vive : « Toutes ces récompenses sont d’un autre temps. Aujourd’hui, il nous faut combattre cette permanente quête de performance. Que ce soit pour des raisons environnementales ou éthiques. L’Assemblée nationale débat aujourd’hui sur un projet de loi qui imposerait aux chefs d’entreprise de publier leur génome au nom de la transparence vis-à-vis des actionnaires… Encore le culte de la perfection qui ne rime ni avec humain ni avec innovation ! »
Le séquençage du génome
L’ensemble des informations contenues dans l’ADN est appelé génome. Le séquençage est la lecture de la succession des lettres qui le constituent. Pour y parvenir, on extrait l’ADN d’un échantillon biologique (cheveu, salive, sang…), que l’on place dans un séquenceur. Celui-ci le compare avec le génome de référence de l’humain pour établir une liste de différences, base de l’identification et des particularismes propres à chacun…
En chiffres
2,7 Mds$ (2 Mds€) : prix du premier séquençage en 2003 ; – de 1 000 $ (- de 750 €) : prix d’un séquençage complet en 2016 ; 23 : nombre de paires de chromosomes chez l’humain ; 25 000 : nombre de gènes estimés chez l’homme ; 700 mégaoctets d’informations : le « poids » de notre ADN ; 670 M€ : premier investissement annoncé en 2016 pour le plan France Médecine génomique
Sources : Agence de biomédecine, Genopole, Le Monde.
À lire :
– Le rapport France Médecine génomique 2025 d’Yves Lévy, président de l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan),
– Une vie sans fin, Frédéric Beigbeder, Grasset, 2018.