EXPERTS ET DÉCIDEURS
Deux voire trois talents pour un seul et même poste. C’est le principe du jobsharing, un modèle d’emploi né aux États-Unis, et qui s’est développé en Europe. Bien qu’il reste encore peu connu en France, il prend notamment son essor en Allemagne et surtout en Suisse, où il s’applique notamment sur des postes à responsabilités.
Il consiste en un véritable partage du poste et pas seulement de son volume horaire dans une juxtaposition de temps partiel. « Le jobsharing désigne le fait qu’un poste à temps complet soit occupé par deux voire trois personnes qui se répartissent les tâches, avec une coresponsabilité et une interdépendance entre ces partenaires », explique Irenka Krone, directrice de l’association Part-Time Optimisation (PTO) et co-directrice de WeJobshare Sarl, qui promeut ce modèle d’emploi en Suisse, elle-même jobsharer depuis plusieurs années.
Le modèle peut prendre différentes formes, réunissant des binômes aux compétences complémentaires, dont les membres peuvent être issus de générations ou de culture différentes par exemple. Le taux de travail n’est pas nécessairement de 50 % chacun, il peut aller au-delà. Généralement, le jobsharing suppose la signature d’un contrat individuel entre l’entreprise et chaque membre du duo. En Suisse, il prend la forme d’un contrat à temps partiel auquel sont ajoutées certaines précisions. « On va ajouter un avenant qui précise les modalités de travail, le taux de travail, les conditions de dissolution du jobsharing mais aussi celles des prises de vacances », précise Irenka Krone.
Mettre en place ce mode de fonctionnement a de nombreuses vertus pour les entreprises à commencer par le fait d’offrir des opportunités d’emploi séduisantes pour qui cherche par exemple une meilleur conciliation vie professionnelle / vie personnelle.
L’expérience montre également que le jobsharing assure une plus grande stabilité sur les postes concernés. « Cela permet d’avoir des compétences cumulées, plus d’énergie sur la même fonction, et les duos qui fonctionnent bien restent plus longtemps sur les postes », souligne-t-elle.
Ce partage d’emploi peut aussi contribuer à limiter le stress lié à la « solitude du chef » et faciliter la transmission des savoirs – entre des seniors sur le point de partir à la retraite et des profils moins expérimentés – comme des entreprises. Le dirigeant de la biscuiterie HUG, une PME Suisse, a ainsi partagé son poste pendant quatre ans avec sa nièce avant de lui transmettre les rênes qu’elle a choisi de reprendre en mettant en place un autre jobsharing avec un profil externe, convaincu par l’exercice.
« Pour les salariés, l’attrait principal du jobsharing est lié au fait de pouvoir trouver un poste plus intéressant à temps partiel alors que ce dernier confine souvent sur certains types de poste et peut rendre difficile le fait de faire carrière », assure Irenka Krone. Alors que le temps partiel concerne majoritairement les femmes, ce modèle peut donc aussi être vu comme un levier pour rendre le monde du travail plus juste, en offrant à chacun et chacune l’opportunité d’occuper des postes à responsabilités.
Dans les entreprises, sa mise en place suppose une volonté affirmée et partagée. « Il faut envoyer clairement le message politique que la firme veut promouvoir ce modèle et s’assurer que la démarche soit soutenue par le management », conseille la directrice de PTO. Cela peut passer par la mention de la possibilité de postuler en jobsharing sur ses annonces d’emploi, la diffusion de contenus sur le sujet sur son site web ou encore la mise en place d’outils – plateforme ou simple listing – permettant aux employés intéressés de trouver un potentiel binôme.
Il faut prévoir que certains coûts, liés aux infrastructures de travail et au budget de formation, soient augmentés du fait d’embaucher plusieurs personnes sur un même poste. Enfin, un accompagnement des binômes, sous forme de coaching pour mieux gérer le travail en commun ou les conflits par exemple, est également souhaitable.